André Jolivet ou l'effet palimpseste -
On dit de la Divine Comédie,du Château, de Ulysses,d'Au dessus du Volcan, que ces oeuvres fonctionnent comme des boules de cristal à piéger le monde... Les écrans mentaux travaillés en une certaine qualité de blanc qu'affectionne André Jolivet, sont de la même nature. Tout y est dit, contenu, reflété dans le plus pur respect de l'idéal platonicien. Une fois le cadre défini, et quelle que soit sa dimension, le projet demeure inchangé. Une aventure singulière de captation de la lumière. L'écran, dans sa blancheur immaculée et vibrante, se charge fort bien, comme un téléviseur mental constamment allumé, de révéler la présence et la fureur de mondes présupposés ou réels. L'écran blanc, chez André Jolivet a des façons de falaises de marbre qui se rapprochent. Mais au lieu des feux trompeurs de vils naufrageurs, le regard affronte un déluge d'images portées par cet écran palimpseste. Plutôt que de proposer des visions étroitement réalistes, l'écran marche à la citation, au symbole , au tatouage et à la trace. Une ruche bruissante de références opère sa magie évocatrice par des trames et des enchâssements nets, tels de nouveaux programmes. Ce peut être par exemple l'esthétisation d'un banal PV ou de tout autre document. Comme chez Kafka, le monde administratif et ses productions renvoie chez Jolivet à la Loi de composition universelle. Il s'agit de tarauder, griffonner, recouvrir le formulaire pour brouiller l'ordinateur du destin. A ce prix seulement, le détournement de formulaire prend sa véritable dimension. Une manière de refuser l'establishment et ses modes de vie factices. Ce qui convient pour André Jolivet, c'est aussi ce qui ne convient pas. L'effet palimpseste s'accompagne ici d'une démarche plasticienne rigoureuse. Un éternel retour sur soi, une lutte titanesque pour la qualité des blancs. Il s'agit d'une réécriture perpétuelle, comme une grande roue qui tournerait pour refléter nos petites histoires avec la vigueur de l'épopée.
Alain Calmès.